Le téléphone pleure, les parents raquent. Réaction à l’article « Sunrise propose un téléphone pour surveiller son enfant », Le Temps, 24.11.20.

/ novembre 26, 2020

Souvenez-vous. Vous êtes à l’école primaire, vous avez peut-être 7 ou 8 ans et le chemin qui sépare la cour de récréation de votre maison est le théâtre d’une nouvelle aventure chaque jour de la semaine. Ce moment entre deux cadres (celui de l’école et celui de la maison) durant lequel vous avez l’impression que le monde est votre terrain de jeu. Vos camarades sont tour à tour des astronautes, des vikings ou des agents-secrets; peu importe, votre seule limite est celle de votre imagination…. et celle du temps accordé par vos parents pour rentrer. Si vous vous attardez trop, vous allez être en retard et le risque de se faire gronder augmente. Soit, cette limite est intégrée, mais elle ne vous empêchera sûrement pas de profiter pleinement de ce moment de (semi-) liberté. Pendant ces 20 minutes, vous êtes le roi du monde.

Qui aurait envie que ses parents l’accompagnent à ce moment-là? Avec leurs règles, leurs inquiétudes, leur stress, leur « non, grimpe pas là-dessus » et leur costume d’astronaute trop petit dans lequel ils ne rentrent plus? Personne et d’ailleurs heureusement.

Ce moment est crucial dans la vie d’un enfant. Il répond à un besoin d’autonomie et de prise de confiance en soi. Alors lorsque je découvre que Sunrise commercialise à un smartphone à destination des enfants, l’absurdité de la nouvelle m’estomaque.

Géolocaliser son enfant en permanence revient à l’accompagner tous les jours sur ce chemin de l’école/de l’aventure. C’est intrusif et contraire à ses besoins. Il aura en permanence l’impression d’avoir ses parents dans la poche, alors qu’il a besoin de son espace de liberté.

Percevoir le smartphone comme gage de sécurité est invraisemblable. Comme le montre l’étude menée sur la place des écrans connectés au sein des familles en Suisse, par la sociologue Claire Balleys (2019), l’équipement des enfants en smartphone exacerbe un besoin de réassurance parental. La sécurité est le premier argument avancé par les parents au cours de l’enquête, mais aussi auprès de leurs enfants […]. La suite de l’étude démontre alors qu’au lieu de rassurer, le smartphone génère encore plus d’angoisse, lorsque l’enfant ne répond pas au téléphone. L’outil technologique devient alors le mauvais objet. Quand vous savez (pertinemment) que vous êtes en retard et que vous voyez le nom de vos parents apparaître sur l’écran, vous auriez envie de décrocher, vous ? Les enfants ont besoin de ces moments sans adultes, dans une illusion de liberté  Pas de nouvelles, bonnes nouvelles, on disait… 

Les fonctionnalités proposées par le téléphone commercialisé par Sunrise représentent alors un aveu de faiblesse quant aux compétences sociales intrafamiliales. En étant focalisés en permanence sur le temps d’écrans de leurs enfants, ces parents en viennent à oublier leur légitimité à imposer des règles. Là où on reproche aux écrans d’isoler, on se réfugie en fait derrière l’outil technologique pour se substituer au cadre. Le message qui dit « maintenant pose ce téléphone et viens » aura toujours plus d’impact lorsqu’il est agi, qu’à travers une notification sur l’écran du chérubin.

La démarche de Sunrise démontre au mieux leur compréhension erronée des produits qu’ils vendent, au pire une tentative de fidélisation des enfants, sous couvert de répondre à une demande de pseudo-accompagnement parental. On le rappelle: commençons d’abord à apprendre aux enfants à savoir où trouver de l’aide en cas de nécessité. Et si vraiment, un téléphone prépayé à touches remplit parfaitement son office. Les associations de consommateurs trouveront certainement le prix de l’appareil et le fait qu’il s’accompagne d’un abonnement mensuel très intéressant. .

Les besoins des enfants ne doivent pas être confondus avec ceux des parents et jamais un enfant n’a besoin d’un smartphone. Ne confondons pas l’outil (smartphone) et la fonction (pouvoir joindre quelqu’un/se rassurer). L’annonce de ce téléphone n’a donc définitivement rien d’une bonne nouvelle. Au contraire, il s’agit là d’une démarche incongrue et opportuniste. Le dialogue reste toujours la meilleure stratégie dans la famille et si les enfants ont droit à la parole, les parents ont toujours le dernier mot. Même les parents de cosmonaute.

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